Emmanuelle Van Noppen
L’artiste

L’artiste

L'artiste

 

 

 

Je suis née en 1944, à Etterbeek, dans ce qui était alors un pittoresque quartier de Bruxelles.

Très tôt, je pris conscience que, sur notre planète, cohabitent, tant bien que mal, l'être humain et l'animal. Le premier, remarquai-je, domine le second et lui fait sentir à quel point il lui est supérieur, en l'appelant "bête".

Mais le plus bête des deux n'est pas celui qu'on pense. C'est en les dessinant, que je suis entrée dans l'intimité de tant d’humbles créatures, parfois étonnantes, souvent attachantes, et toujours admirables, que trop d'humains méprisent, hélas, quand ils n’ignorent pas jusqu'à leur existence.

Une partie de ma jeunesse s'est écoulée entre Bruges et Damme, en Flandre occidentale, et j'ai passé l'essentiel de mes premières années à Cugnon-sur-Semois, lieux bucoliques, s'il en fut, situés dans les Ardennes belges. C'est là que la part la plus spontanée, voire la plus sauvage, de ma personnalité, s'est formée de manière définitive.

Que de fois n'ai-je pas fureté et observé le petit monde des insectes, des batraciens et des oiseaux, ainsi que la luxuriante faune aquatique que la Semois cache dans ses méandres. La forêt et sa faune sauvage, comme aussi, plus tard, les sommets alpins, sont devenus mes lieux de prédilection. J'y allais comme en pèlerinage, pour m'y ressourcer, y puiser l'inspiration, ou encore me mesurer à la puissance de leurs éléments et m'abandonner à leur imprégnation magique.

J'ignore pourquoi, tout en étant très sensible à la beauté des animaux nobles, que tant d'artistes ont dessinés ou peints, c'est le monde des petits êtres qui avait ma préférence. Plus tard, leur observation professionnelle affina mon regard et émerveilla mon intelligence, tandis qu'en les dessinant pour les besoins de la science, je découvrais, avec émerveillement, la multitude et la diversité de leurs espèces, et l'architecture, aussi complexe qu'harmonieuse, de leurs formes et de leurs organes.

Et je me disais : comme elle s'en est donné du mal, Mère Nature, pour doter chacune de ces formes de vie d'autant de caractéristiques particulières, des plus esthétiques aux plus extravagantes, voire cocasses ! Et je trouvais dommage que seuls les spécialistes accèdent à ces trésors.

 

Des décennies d'observation et de reproduction graphique, jusque dans les moindres détails, de ces êtres vivants que trop peu de gens connaissent, parce qu'on ne leur a pas donné envie de les "découvrir", m’ont convaincu de les "donner à voir" à travers mon art. J'espère ainsi faire admirer, voire aimer cette nature, à l'inventivité inépuisable, et si richement douée, que je me plais à la nommer "Mère de tous les arts".

 

Et, à défaut de parvenir à susciter en eux l'admiration que j'ai pour elle, j'espère au moins les convaincre de la respecter, et surtout de ne pas porter atteinte à son intégrité. Car ce serait compromettre l’existence même de ce qu'elle nous offre de plus beau, à chaque instant, depuis des temps immémoriaux :

 

LA VIE

Réfractée dans des myriades d’êtres, tous différents et uniques en leur genre,
dont chacun remplit sa tâche avec fidélité au service de notre terre,
jouant ainsi sa note irremplaçable dans le concert de la création.
Vision si merveilleusement faite pour notre bonheur d'être.

 

Depuis ma plus tendre enfance, la nature a été mon refuge, mon aire de jeux, mon observatoire… bref, mon élément naturel.
J'ai été soutenue par mes parents, eux-mêmes épris du beau et du vrai, et adeptes d'un art de vivre et d'une éthique en harmonie avec la vie.
La structure cachée des choses et les formes dont elles s'enveloppent ont toujours exercé sur moi une attraction magnétique.

Combien de fois n'ai-je pas observé, subjuguée, le monde lilliputien qui grouille sous nos pieds sans que les hommes y prennent garde ou s'y intéressent !
Plus souvent qu'à mon tour, j'ai connu l'ivresse des senteurs multiples des forêts, l'éblouissement face à la majesté des sommets montagneux, le vertige sacré au bord des précipices, la jalousie secrète pour le vol altier des rapaces auxquels appartient l'espace…
Et puis, il y avait les joies simples, comme celle de cueillir au flanc des rochers, les petites fleurs de génépi, dont les audacieux bouilleurs de cru que nous affections d'être, mes camarades et moi, tirions un alcool léger qui ne nous enivrait guère, mais enchantait nos papilles et nous échauffait légèrement le sang dans les veines.

Avec de tels penchants, ma voie était toute tracée : je serai dessinatrice. 
Et c'est ce que je fus quarante années durant.
Récemment rendue à la liberté, après une longue carrière d'illustratrice scientifique au Musée Royal d'Afrique Centrale ( MRAC ), je peux enfin donner libre cours à ma créativité artistique, enrichie de décénies de reproductions minutieuses des multiples formes surprenantes qu'affecte la faune décrite par les scientifiques dont j'illustrais les recherches.